Kanako Tanaka
Economist
LE VOYAGE DU JAPON VERS LE « NET ZERO » | JANVIER 2023 | INVESTISSEMENTS ET MARCHÉS
« La création d’un avenir durable grâce au pouvoir de l’investissement présente des défis, mais aussi de nombreuses opportunités » déclare Kanako Tanaka de Asset Management One.
En tant que l’un des 30 premiers signataires de l’initiative « Net Zero Asset Managers » et la seule société japonaise parmi ses membres fondateurs, Asset Management One s’est engagée à rendre son portefeuille neutre en carbone d’ici 2050. L’entreprise s’est également fixé un objectif intermédiaire ambitieux : faire en sorte que 30 000 milliards de yens (209 milliards de dollars, 209 milliards d’euros), soit environ 53 % de ses actifs sous gestion, soient net zéro d’ici à 2030.
Pour relever les défis à venir, AMO a mis en place une équipe dédiée à l’investissement durable, en collaboration avec Kanako Tanaka, scientifique senior en matière de durabilité. « C’était un engagement important pour l’entreprise, déclare Kanako Tanaka, mais c’est ainsi que nous allons créer des investissements pour une société plus durable, en intégrant des perspectives quantitatives, qualitatives et scientifiques.
Quel rôle le secteur de la gestion d’actifs peut-il jouer dans la décarbonisation de la société ?
J’ai été attirée par le secteur de la gestion d’actifs parce que je voulais participer davantage aux efforts de décarbonisation et mettre à profit mon expertise dans des domaines scientifiques connexes. Plus précisément, je m’intéresse à la manière dont les ressources et les finances, lorsqu’elles sont correctement allouées, peuvent contribuer au changement.
En tant que membre de comités qui conseillent le gouvernement japonais et les partenaires internationaux en matière de politiques et de stratégie, j’ai noué des relations solides avec les parties prenantes gouvernementales, universitaires et industrielles. J’ai également acquis une expertise dans les domaines de l’efficacité énergétique et la décarbonisation, ainsi que le recyclage et l’économie circulaire.
Nous devons développer des systèmes énergétiques et des infrastructures technologiques stables, largement accessibles et durables, qui puissent être utilisés par tous. Pour ce faire, nous devons investir dans la recherche et le développement technologique, ainsi que dans les infrastructures sociales telles que le bâtiment et le transport. Nous devons réfléchir pleinement à la manière d’utiliser des matériaux à faible teneur en carbone et de créer une économie circulaire par le biais d’investissements efficaces, avec des décisions fondées à la fois sur la recherche quantitative et sur une évaluation économique qui reflète le changement social.
Quels défis le secteur de la gestion d’actifs doit-il relever pour aider le monde à se décarboniser ?
Le dernier rapport du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) – j’ai été l’auteur principal du chapitre consacré au secteur de la gestion d’actifs – a examiné de près le rôle que le financement peut jouer dans la réalisation des objectifs climatiques. Malheureusement, nous ne sommes pas encore sur la bonne voie pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius. En fait, les émissions de gaz à effet de serre en 2019 ont été les plus élevées depuis le début des relevés. Pour atteindre nos objectifs, nous devons réduire rapidement et durablement les émissions.
De nombreuses options sont actuellement disponibles dans tous les secteurs pour réduire les émissions nettes conformément aux objectifs mondiaux. Mais il existe d’importants déficits d’investissement. Nous avons besoin de trois à six fois plus de fonds que ceux dont nous disposons actuellement chaque année pour limiter le réchauffement à moins de 1,5 degré. Bien que les possibilités d’investissement soient nombreuses, il est souvent plus difficile d’investir dans une nouvelle technologie à ses débuts.
« Nous voulons créer un monde dans lequel les capitaux sont dirigés vers les entreprises qui prennent des mesures crédibles en faveur de la décarbonisation. » |
Mais si l’on considère le développement des énergies renouvelables, par exemple, le coût de l’énergie solaire et des batteries lithium-ion a diminué de 85 % depuis 2010, et celui de l’énergie éolienne de 55 %, selon le rapport du GIEC. Dans certains cas, le coût des énergies renouvelables est tombé en-dessous de celui des combustibles fossiles. Dans le même temps, les capacités ont fortement augmenté : les énergies solaire et éolienne représenteront près de 10 % de l’approvisionnement total en électricité dans le monde en 2020, ce qui dépasse de loin les prévisions faites quelques années auparavant.
Dans quelle mesure le parcours vers le zéro émission est-il une opportunité pour les investisseurs ?
Bien que l’investissement dans la technologie et l’innovation soit certainement important, d’autres perspectives sont à considérer. Quel type de société envisageons-nous ? Il est important de réfléchir non seulement à la décarbonisation, mais aussi à d’autres éléments du changement social – comment travaillons-nous, comment ferons-nous face à une société vieillissante, comment utiliserons-nous les technologies intelligentes, l’IA ou la robotique ?
Les entreprises doivent voir les opportunités commerciales dans ces changements. Je pense que les gestionnaires d’actifs peuvent soutenir les entreprises d’un point de vue d’investissement et financier, et conduire des changements positifs par le biais d’un engagement constructif. Nous voulons créer un monde dans lequel les capitaux sont dirigés vers les entreprises qui prennent des mesures crédibles en faveur de la décarbonisation et qui réalisent de réels changements dans leurs performances ESG. Nous nous engageons activement auprès des entreprises pour les sensibiliser et les encourager à prendre de nouvelles mesures afin d’accroître leur valeur d’entreprise à long terme.
Il est important de montrer aux entreprises ces avantages de manière tangible, plutôt que de simplement leur donner des notions sur la manière dont elles devraient être respectueuses de l’environnement. A travers notre engagement auprès des entreprises émettrices, j’ai à cœur d’encourager les entreprises à penser que la décarbonisation n’est pas une simple obligation, mais plutôt une bonne et bénéfique chose à faire. Chaque entreprise doit aborder les défis du changement climatique dans le cadre de sa stratégie commerciale, et ensemble, nous travaillerons à des solutions pour un avenir meilleur et plus durable pour tous.
Quelles sont les caractéristiques de la stratégie de neutralité carbone du Japon ?
La stratégie de neutralité carbone du Japon présente des éléments uniques. En décembre 2020, le Japon a lancé sa stratégie de croissance verte dans le but d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. L’initiative présente des plans ambitieux pour l’adoption d’énergies renouvelables, la production d’énergie nucléaire avancée et plus sûre, la production d’hydrogène à faible teneur en carbone et le recyclage du carbone dans le secteur de l’électricité. Conçue comme une politique industrielle, la stratégie encourage la création d’un cycle vertueux de croissance économique et de protection de l’environnement, et vise à permettre au secteur privé de relever le défi.
La stratégie identifie 14 secteurs à fort potentiel de croissance pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de carbone. Le gouvernement s’est engagé à mobiliser toutes les politiques possibles pour que les entreprises puissent mener des activités de recherche et de développement innovantes et adopter des pratiques économes en énergie grâce à des mesures incitatives, notamment des investissements en capital via le Fonds pour l’Innovation Verte, d’une valeur de 2 000 milliards de yens sur les dix prochaines années.
À cela s’ajoutent des crédits d’impôt ou des concessions spéciales pour les équipements d’infrastructure neutres en carbone et une augmentation des plafonds de crédit d’impôt pour la recherche et le développement. Parallèlement, le gouvernement soutiendra les initiatives d’investissement à forte valeur ajoutée, telles que l’énergie éolienne en mer et d’autres projets d’énergie renouvelable, afin d’atténuer les risques.
Le gouvernement débat également de la stratégie nationale pour l’Energie Propre qui vise à créer une économie centrée sur cette dernière. Les principaux piliers de cette initiative sont la sécurité énergétique et la transformation de l’infrastructure et de l’industrie énergétiques, à l’aide de mesures réglementaires et institutionnelles et d’un package financier.
La promotion et le financement des questions écologiques sont clairement devenus une priorité essentielle. La stratégie du gouvernement est diversifiée et de grande envergure, avec le concours de nombreuses parties prenantes. Les gestionnaires d’actifs jouent un rôle clé dans l’engagement des décideurs politiques et des entreprises pour aider à atteindre les objectifs globaux de zéro émission au Japon.