Didier Jug
Investeam
Edito | 16 octobre 2018
Défaut de mémoire
Le 11 novembre prochain, le monde célè-brera le centenaire de la Première Guerre mondiale.
Ce conflit généralisé a laissé de multiples cicatrices encore visibles aujourd’hui. Les noms de près d’un million et demi de morts sont inscrits sur les stèles de nos villages. Des territoires entiers restent pollués par les millions d’obus déversés au plus fort des batailles. Et des souvenirs saillants habitent toujours notre mémoire collective : hier encore, ma mère me parlait de son grand-oncle enterré à Verdun et de son oncle tombé en quarante.
Le 11 novembre prochain, nous serons invités à accomplir un devoir de mémoire national en tant que témoins ou acteurs d’une longue série de manifestations en hommage aux hommes et femmes qui ont sacrifié leur vie pour défendre les valeurs auxquelles ils étaient attachés : liberté, égalité, fraternité. Ces valeurs inaliénables de la France, pays des droits de l’homme, se retrouvent dans les fondements des grandes démocraties occidentales, nourries du sang versé par leurs anciens dans des combats menés avec courage et abnégation, des valeurs admirables dont nous devrions connaitre le prix et mesurer l’importance pour nos générations futures. Pour-tant, un siècle plus tard, elles semblent reléguées à la préhistoire et sacrifiées par nos économies modernes sur l’autel de la monnaie.
Dans ce domaine qui nous intéresse tout particulièrement, pour illustrer cette in-croyable capacité de l’homme à oublier, il suffit d’observer l’indifférence suscitée par le trentième anniversaire du « Black Monday », cette fameuse séance boursière du 19 octobre 1987 qui a connu la baisse la plus importante, en pourcentage, jamais enregistrée en un jour sur un marché d’actions : -508,32 points, soit -22,6 % pour le Dow Jones à la clôture de la séance (the closing bell) de Wall Street. Maintenant, qui se souvient des raisons à l’origine de ce séisme ? Ce serait pourtant utile, tant les conditions d’aujourd’hui rappellent celles d’autrefois : une hausse des taux allant de pair avec des marchés d’actions soutenus par des économies plutôt florissantes… Jusqu’à ce que la prise de conscience d’un nécessaire rééquilibrage ne déclenche ce fameux krach d’octobre 1987.
Aujourd’hui, les taux sont à la hausse en Europe, trois ans après le début d’un même mouvement aux Etats-Unis, maintenus sous endorphine, avec une croissance à 4,8 % en rythme annuel et un taux de chômage à un plus bas historique de 3,7% de la population active. Pourvoyeuse de bien-être et d’euphorie, cette situation pourrait se révéler d’une dangereuse fugacité. A plusieurs titres : la guerre commerciale ouest-est, le repli et le protectionnisme des Etats-Unis, le surenchérissement du dollar résultant de taux plus élevés qu’en Europe pourraient provoquer un ralentissement surprenant de la croissance américaine, non pas du fait de l’absence de signes précurseurs, mais du défaut de mémoire ! Alors le réveil des acteurs économiques américains pourrait être brutal et douloureux avec, en prime, la sanction des marchés.
Dans ce cas, le clairon matinal européen ne manquerait pas, en écho, de sonner l’alarme et la retraite. Si les taux en Europe sont moins élevés qu’outre-Atlantique (environ 2.5 % plus bas sur le court et le long terme), les croissances des principales économies sont moins soutenues (en France, l’Insee vient de revoir à la baisse le taux de croissance à 1,6 % en rythme annuel). Dans le même temps, la perfusion de capitaux américains se tarit : depuis que le rapatriement des profits des multinationales américaines est moins taxé aux Etats-Unis, les investissements directs étrangers (IDE) en Europe ont été quasiment divisés par deux (- 41 % au premier semestre 2018 par rapport au premier semestre 2017).
Dans ces conditions, comment ne pas s’alarmer devant cet oubli collectif, alors que 1987 est là pour nous rappeler que les hausses concomitantes des taux et des marchés d’actions sont comme chien et chat, d’une cohabitation instable et inamicale. En témoignent la récente consolidation des marchés d’actions européens et la nervosité de leurs intervenants. Toutefois, il existe deux dissimilitudes entre 1987 et aujourd’hui qui autorisent une pointe de confiance : en 1987, les rendements des treasuries à 10 ans étaient 3 fois plus élevés et aujourd’hui les hausses récentes de taux d’intérêt ont été annoncées et progressives. Pour autant, l’oubli est bien une plaie, heureusement non létale pour ce qui est des guerres économiques qui représentent, par ailleurs, autant d’opportunités d’acheter « au son du canon ».
A l’inverse, les guerres des hommes sont une abomination. L’organisation de temps forts pour célébrer la mémoire des anciens est donc précieuse pour ne pas reproduire les lourdes erreurs du passé. En particulier, à l’heure où les témoignages directs se tarissent, l’évocation du souvenir des héros est indispensable pour sensibiliser les populations sur les pages tourmentées de notre histoire. En veillant à ne pas rouvrir de profondes blessures, transmettre la mémoire aux jeunes générations revient à promouvoir les valeurs de paix, d’égalité et d’humanité.
C’est dans cet esprit que je tiens à témoigner, à l’occasion du centenaire de la fin de la première guerre mondiale, à l’ensemble de ses soldats et de leurs familles, mon respect, mon admiration et ma reconnaissance pour la leçon de vie et de courage qu’ils ont donnée aux générations futures.
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